Le haschich, c’est le Kif !?

Le haschich, c’est le Kif !?

Kif, kiff, kaif, ou encore keïf, c’est kif-kif ; ce mot arabe aujourd’hui très populaire est connu sous de multiples graphies mais son sens renvoie généralement à l’idée de bien-être, de détente, de bonheur. Cette acception est fort ancienne ; en Orient on kiffe depuis des siècles bien que cela ait toujours été réprouvé. Parce que cette béatitude, Messieurs-dames, n’est pas de celles que l’on atteint innocemment en observant un coucher de soleil ou en lisant un bon bouquin… Mais laissez-moi plutôt vous conter la voluptueuse aventure du Kif : d’un secret mal gardé par les fakirs de la Perse médiévale à sa pénalisation en France, en croisant au passage Napoléon et nos amis Balzac, Gautier ou encore Flaubert.

L’histoire d’un Kif

Dans la langue française on trouve une des premières occurrences du mot arabe kif en 1670, dans la traduction de l’Histoire de l’état présent de l’Empire ottoman du chevalier Paul Rycaut, un historien et diplomate anglais du XVIIe siècle. Après avoir été envoyé pendant huit ans en ambassade à Constantinople auprès du sultan Mehmed IV, il rapporte dans son ouvrage que « les Turcs sont persuadez, qu’il est impossible de boire du vin avec modération » et qu’ils n’en « boivent jamais qu’à pleine tasse, & autant qu’il en faut pour les mettre dans leur Kaif, comme ils disent, c’est-à-dire, dans une gayeté qui tient de l’extravagance d’un yvrogne ». Selon cette définition, le Kaifserait un protocole propre aux orientaux et visant à s’abreuver de liqueurs dans le but de « se mettre bien ». Au XIXe siècle, l’orientaliste Antoine Isaac Silvestre de Sacy dans sa Chrestomathie arabe (1826) parle du Keff, qu’il définit comme étant un dérivé du mot kief désignant en Perse « toutes les substances qui ont la vertu de causer une sorte d’ivresse plus ou moins forte, ou une gaieté extraordinaire et factice » que sont le tabac, le pavot et le chanvre. Cette fois-ci, il n’est plus mention d’alcool mais de plantes, et notre auteur précise que chez les Arabes d’Égypte le keïf désigne l’espèce de « stupeur voluptueuse où les jette l’usage du haschischa ». Nous y voilà ! Haschich, mot arabe également, signifie « herbe » et qualifie plus spécifiquement l’herbe de la joie qu’est le cannabis ou chanvre, et à partir de laquelle ce psychotrope est fabriqué. On connaît cette plante originaire d’Asie depuis l’Antiquité, notamment en Inde et au Yémen, et dès les premiers siècles de notre ère quelques auteurs savants en font déjà mention dans leurs ouvrages. Ainsi Pline l’Ancien (23-79) dans La botanique et la matière médicale, avait déjà classé la plante dans la catégorie Urticées et Dioscoride (20?-90?) faisait mention du Cannabis sativa dans son De materia medica.

Dans Bons augures littéraires, concernant les vertus du chanvre, une sorte de recueil de poèmes arabes rédigé au XIIIe siècle par un certain Hasan Askéri, on trouve quelques informations relatives à l’introduction et à la consommation du haschich en Orient au Moyen Âge. Selon cet ouvrage, l’initiateur du kif serait le scheïkh Haïder, un ascète vivant dans un couvent au cœur des montagnes perses entouré de fidèles fakirs. C’est en l’an 658 de l’Hégire (notre XIIIe siècle) que le scheïkh aurait découvert la fameuse plante au hasard d’une promenade ; il en aurait alors fait ingérer à ses disciples qui se seraient aussitôt trouvés dans « une disposition gaie et joyeuse ». Le scheïkh leur aurait alors ordonné de « tenir secrète la découverte […] et les fit promettre avec serment de ne point la communiquer au commun des hommes, et de ne point la cacher aux fakirs ».

Bon, je ne vous cache pas que le plan du scheïkh ne s’est pas tout à fait déroulé comme prévu. Certes le haschich a bien été — dans un premier temps — adopté par les fakirs (d’où son appellation d’Herbe des Fakirs), mais très vite sa consommation s’est généralisée dans la population si bien qu’en peu de temps « cette drogue se répandit dans l’Irak ; et les peuples de la Syrie, de l’Égypte et du pays de Roum, en ayant entendu parler, en adoptèrent aussi l’usage ». On ne sait pas qui a vendu la mèche, mais j’ai une petite idée ; personnellement j’accuserais volontiers les poètes tel le savant Mohammed Dimaschki fils d’Ali, fils d’Aama (pour ne pas le citer), auteur de ces quelques vers : « Laisse là le vin, prend à sa place la coupe de Haïder. […] Jamais le vin n’a produit les sentiments que renferme cette coupe bienfaisante : ferme donc l’oreille aux discours de l’insensé qui ose en proscrire l’usage. C’est comme une vierge innocente… », etc. Il continue en insistant sur l’utilité du haschich pour amadouer les gazelles ; surtout celles qui d’ordinaire ne veulent pas de toi :« Telle jeune beauté à la taille légère, que j’avois toujours vue prête à prendre la fuite, dont jamais le visage ne s’étoit offert à mes regards qu’avec les traits farouches d’une fierté cruelle ; je l’ai rencontrée un jour avec un visage riant, une humeur douce et facile, et toutes les grâces d’une société pleine de douceur et de charmes. Après avoir obtenu d’elle ce que je désirois, je lui ai témoigné ma reconnaissance de ce qu’à tant de rebuts avoit enfin succédé un accueil favorable ». Prodigieux… « Emballé c’est pesé », comme on dit chez nous ! Avec ce genre de publicité, qu’on ne s’étonne pas de l’expansion massive de la denrée ! Dans ce même recueil, il y a aussi une chansonnette que j’ai bien aimée, alors je vous la rapporte : « Arrête la main des chagrins par l’usage du keff : le keff est le remède des amans tourmentés par les soucis cruels. Aie recours, pour les apaiser, à la fille du chanvre, et non à celle de la vigne. Loin d’ici la fille de la vigne ! » Ça, c’est de la poésie engagée !

Voilà comment, dès le Moyen Âge, la plante malicieuse a commencé à étendre son emprise sur une grande partie de l’Arabie. Prochaine étape, l’Occident !

Le kif à la française : Moreau de Tours et le club des Hashischins

Hop ! Petit bond dans l’Histoire, nous sommes à présent en 1800 et le jeune général Napoléon vient de rentrer se son expédition en Égypte où il a manqué de se faire poignarder par un consommateur de haschich en plein délire ; aussi décide-t-il de faire éditer un décret interdisant la consommation du cannabis dans ce pays ainsi que son exportation, afin de protéger la bonne société française de ce fléau.

Bel effort de Napoléon, malheureusement lorsque l’on a goûté au kif il est difficile de s’en défaire et en Orient on peine à endiguer le phénomène. Rapidement, avec la conquête de l’Algérie par la France (1830), le kif apparait dans la littérature coloniale, diabolisé. Ainsi on retrouve le témoignage d’un Maure accusé de meurtre sous l’emprise du haschich, rapporté en 1857 dans la Gazette médicale de l’Algérie. L’homme raconte : « je suis entré dans un café maure, j’ai acheté quinze centimes de kiff, et j’ai fumé toute la matinée, en visitant plusieurs débits où j’ai pris d’abord une bouteille de vin, puis environ six verres d’anisette » [/!\ ALERTE ! DANGER ! /!\]. Les effets de ce cocktail détonnant ne se font pas attendre : « J’ai éprouvé alors de l’ivresse, des nausées suivies d’un vomissement. À ce moment, j’ai eu une altercation avec quelques juifs, qui m’ont terrassé. Du reste je ne me rappelle pas bien comment cette rixe est arrivée. Vers trois heures, je suis remonté chez moi, j’ai pris un bâton et suis redescendu près du café maure, pour y rejoindre mes adversaires ; dès lors je ne me souviens plus de ce qui s’est passé ». Blackout total pour notre pauvre Maure en perdition… Eh oui, fumer le kif peut rendre fou !

En parlant de folie, il est temps de vous présenter un des acteurs de l’introduction de la culture du kif en France, il s’agit de Moreau de Tours (1804-1884), Jacques-Joseph de son prénom, médecin aliéniste (aujourd’hui on dirait psy). Celui qui n’était pas encore père du célèbre peintre Georges Moreau de Tours, revient alors d’un voyage en Syrie (entre 1836-1840) où il a découvert le haschich. Malgré les interdits, il décide d’en rapporter à Paris afin de continuer à étudier les effets de la substance, persuadé de ses vertus thérapeutiques permettant le traitement de certaines maladies mentales. La vérité c’est que J-J a aussi développé une véritable passion pour le haschich… Coquinou !

Moreau de Tours (source BIU Santé).

Comme c’est un chic type, il décide d’en faire profiter son entourage et crée dès 1843, avec le peintre Boissard, un club pour les amateurs de cannabis à Paris : le club des Hashischins. C’est l’époque où la bohème parisienne se réunit au sein de divers clubs, tous plus farfelus les uns que les autres (relisez donc l’article sur les Fumistes pendant que vous y êtes!), et c’est en l’hôtel Pimodan sur l’île Saint-Louis, chez Boissard, que les hashischins se retrouvent pour s’encanailler, enfin, pour « halluciner » puisque tel est le programme proposé par Boissard à ses invités :

Invitation de Boissard à Théophile Gautier, novembre 1845

Ils sont donc poètes, écrivains (Gautier, Dumas, Balzac, Flaubert, Nerval, Baudelaire), ou encore peintres (Delacroix, Daumier) ; bref, du beau monde en quête d’expériences intérieures, cherchant à explorer la psyché et exploiter un potentiel créatif insoupçonné.

Autour de J-J et de ses petites confitures de cannabis faites maison (dawamesk), artistes et intellectuels viennent s’ensuquer lors de ces soirées baptisées fantasias. Mais ne vous méprenez pas ; pour Moreau de Tours ce club est avant tout un lieu d’expérimentation et d’observation de la folie artificielle. Encore une fois, tout ça, c’est pour la science ! Et l’on peut dire que Moreau prend son travail très à cœur. Voyez la description que fait Gautier de J-J lorsque ce dernier lui distribue sa toute première dose de cannabis : « La figure du docteur rayonnait d’enthousiasme ; ses yeux étincelaient, ses pommettes se pourpraient de rougeurs, les veines de ses tempes se dessinaient en saillie, ses narines dilatées aspiraient l’air avec force. “Ceci vous sera défalqué sur votre portion de paradis”, me dit-il en me tendant la dose qui me revenait ». Vous pourrez dire ce que vous voulez, J-J n’était pas là pour badiner, il s’est d’ailleurs livré corps et âme à ses expérimentations. Dans Du haschisch, des rêves et de l’aliénation mentale qu’il publie en 1845, il affirme que « L’expérience personnelle est ici le critérium de la vérité. Je conteste à quiconque le droit de parler des effets du haschich, s’il ne parle en son nom propre, et s’il n’a été à même de les apprécier par un usage suffisamment répété ». Des nuits de labeur, je vous dis !

Les fumeurs de hadchids, Daumier, 1845.

Légende : « Ah ! quel plaisir oriental je commence à éprouver… il me semble que je trotte sur un chameau ! — Et moi… je crois recevoir une bastonnade !… »

Mais la consommation de cannabis n’est pas sans danger, nous l’avons vu plus haut, et un hashischin risque à tout moment de sombrer dans « les affres », comme ils disent. Convaincu de la toxicité de la substance le sage Baudelaire, qui n’assistait aux fantasias qu’en tant que spectateur, déclare ainsi dans Les Paradis artificiels (1860) : « C’est la punition de la prodigalité impie avec laquelle vous avez dépensé le fluide nerveux. Vous avez disséminé votre personnalité aux quatre vents du ciel, et, maintenant, quelle peine n’éprouvez-vous pas à la rassembler et à la concentrer ? ». En parlant de fluide… il est une autre contre-indication à la consommation du cannabis et qui concerne davantage ces Messieurs. Je veux parler d’impuissance sexuelle et je laisse le docteur Roubaud, un confrère de J-J qui en a fait les frais, vous conter sa misérable expérience : « Je voulus alors me livrer au coït. Mais au moment où je croyais atteindre le but, un obstacle infranchissable s’opposa à l’intromission de la verge, et mes forces s’usèrent à le vaincre ; brisé de fatigue et couvert de sueur, je dus renoncer à accomplir cette œuvre immense, l’organe copulateur participant lui-même à l’abattement de tout l’organisme ». Que ceci vous serve d’avertissement !

Décidément, la consommation du haschich comporte bien des risques ! Il en est de même pour d’autres drogues en vogue à l’époque tels la morphine, l’absinthe ou encore l’opium dont l’usage n’est alors aucunement prohibé. C’est seulement au XXe siècle qu’est mise en place une législation incriminant « l’importation, le commerce, la détention et l’usage des substances vénéneuses » avec la loi du 12 juillet 1916, d’ailleurs rudement accueillie par les milieux artistiques. On peut rappeler à ce titre le pamphlet au vitriol qu’Antonin Artaud, au seuil de ses trente ans, adresse au législateur de cette loi. Pour vous la faire courte, la lettre commence par « Monsieur le législateur de la loi de 1916, agrémentée du décret de juillet 1917 sur les stupéfiants, tu es un con. » et se clôt sur « Et maintenant avale ta loi. » ce qui, selon moi, manque tout de même un peu de tact, n’est-il pas ? [Lire l’entièreté de la lettre ici]. Pourtant l’usage du cannabis en France est encore relativement marginal ; il faut attendre les folles années 1960-70 pour que sa consommation explose. La toxicomanie grandissante, et de plus en plus juvénile, au sein de la population française implique la mise en place de mesures sanitaires et législatives drastiques dès la fin de l’année 1970. Dès lors, l’usage de substances stupéfiantes est considéré comme un délit tant en société que dans la sphère privée ; c’est la loi qui est toujours en vigueur aujourd’hui.

Et je vous quitte avec cet amusant témoignage adressé à madame Hanska par un Balzac fanfaronnant, qui s’est cru plus fort que les psychotropes : « J’ai résisté au haschich et je n’ai pas éprouvé tous les phénomènes : mon cerveau est si fort qu’il fallait une dose plus forte que celle que j’ai prise » dit-il avant de reconnaître : « Néanmoins, j’ai entendu des voix célestes et j’ai vu des peintures divines. J’ai descendu pendant vingt ans l’escalier de Pimodan… Mais ce matin, depuis mon réveil, je dors toujours, et je suis sans volonté ». Aussi, méfiance mes amis, ne sous-estimez pas l’emprise des paradis artificiels !

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